Malade, j'ai tenu un journal quasi-quotidien pour y confier mes inquiétudes en les écrivant, essayer de m'en libérer. Ayant eu plus de facilités à écrire qu'à parler de ce cancer, je l'ai fait pour moi, sans intention d'en faire un récit publiable. Et puis les traitements agissant, l'avenir s'éclaircissant un peu, je n'ai plus eu qu'une seule volonté, partager : la sidération à l'annonce de la maladie, le déni, la colère, l'acceptation, la prise en charge médicale, ce parcours.
L'indigestion
Journal intime de mon cancer du pancréas
(Publié janvier 2023 aux éditions L'Harmattan)
Quelques extraits :
« Cette
nuit du 2 octobre, rêve horrible, je mange du « cr-be »
et je trouve ça bon. Je ne peux pas écrire ce mot en entier. J’ai
tellement peur (…). Aujourd’hui encore j’ai ce handicap :
la phobie des crustacés et des « cr-bes » en
particulier. Ce rêve de la nuit du 2 octobre ne peut être anodin,
il est prémonitoire. Je SAIS, je SENS que j’ai quelque chose. Que
c’est un cancer ».
« Ce
matin, 18 octobre 2019, je viens d’apprendre ce que je sais déjà :
j’ai un cancer. Du pancréas, localement avancé, je ne le savais
pas. Je ne sais pas où est cet organe, ni même à quoi il sert. (…)
J’ai
perdu cinq kilos en deux mois.
On
a beau essayer de se dire qu’on se trompe, qu’on est en bonne
santé, qu’on fait attention à tout ce qu’on mange, que notre
mode de vie est sain. Quand la confirmation tombe, quand le mot
CANCER est lâché, la vie bascule, et là, j’entraîne René dans
cette chute. Ce K – je ne peux pas écrire ce mot – est
inopérable. La masse tumorale est enroulée autour de l’artère
mésentérique. L’artère est vitale, la masse est imbriquée, on
ne sait pas opérer à cet endroit. Le pancréas est un organe
profond, difficile à atteindre. C’est aussi un organe vital. La
chirurgie est impossible, alors ce qui est prévu pour moi est de la
chimiothérapie. De la chimie qui va couler en moi.
Chimiothérapie,
qui connaît un mot plus effrayant ? Oui, un cocktail (sans
alcool, bien dommage) de trois produits, pour « exploser la
tumeur », m’explique le Dr Bourrier.
Six
cures, tous les quinze jours. Ensuite, on refait un scanner et on
adapte. Je demande quelle est mon espérance de vie : on ne peut
pas répondre, explique le Dr Bourrier. René accuse le choc. Il
est bouleversé. Il est venu avec moi confiant et sans le moindre
doute sur une quelconque gravité : j’ai 52 ans, suis en bonne
santé, je ne PEUX pas avoir quelque chose. Elle nous propose de
réfléchir, mais de le faire rapidement. René refuse ce temps de
réflexion et annonce qu’on va démarrer tout de suite, qu’il n’y
a pas à réfléchir. Je pleure, j’hyper-ventile, je m’allonge
sur le lit d’examens.(…)
Au
moment où j’écris ces lignes, 18 octobre 2019, j’ai le
sentiment inexplicable que cela arrive à quelqu’un d’autre.
C’est une autre personne que moi qui va se coucher ce soir. Je
pleure tellement depuis ce matin, j’ai le visage tellement bouffi
qu’il suffit que j’aille à la salle de bains me voir dans la
glace pour être sûre que c’est pourtant bien moi. Tout se
bouscule, je n’ai pas deux idées cohérentes.
Une
personne au visage tout bouffi qui s’écroule dans le sommeil et
qui à chaque réveil de la nuit va désormais se répéter « j’ai
un K ». »
« Cinquième
cure faite vendredi 3. Les aliments froids difficiles à avaler qui
font mal à la gorge, des contractures aux doigts, et ces larmes qui
piquent quand je pleure. Les liquides transparents de la CH qui sont
là pour soigner et me guérir. Dans la rue, alors que René est venu
me chercher pour rentrer à la maison à pied à l’issue de cette
CH, j’ai l’impression qu’il pleut, mais ne vois pas le trottoir
mouillé. Non, il ne pleut pas : c’est l’oxaliplatine, les
sels de platine, qui viennent de passer et infusent encore dans mon
corps, qui procurent gêne à avaler, fourmillements aux mains et aux
pieds, et pour la première fois aujourd’hui picotements sur le nez
et les joues, qui me donnent cette sensation de pluie sur le
visage. »
« Selon
le Pr Florence Huguet, chef du service oncologie-radiothérapie
de l'hôpital Tenon, le K est lié au BRCA2. Choquée, pas bien, ce
lien avec le BRCA2 me cause une peine folle, c’est un héritage
décidément bien lourd qui me poursuit depuis maintenant cinq ans.
Dans les bonnes nouvelles, la tumeur est à peine visible, ce qui
sous-entend d’éventuelles difficultés pour la localiser et
envoyer les rayons dessus. Mais on part du principe qu’on fait les
trente séances, on verra ensuite. Prochaine étape : le
centrage, le 13 février.
Ensuite,
un break jusqu’au 2 mars. »
« Je
te retrouve, cher cahier, après 15 jours out sans écrire. Bien
besoin de me libérer, de raconter ce que j’ai vécu. Car oui, je
l’ai eue ma DPC.
Aujourd’hui,
ça va à peu près. Mais je suis tellement fatiguée, sans la
moindre force et sans énergie. Avec un bon mal de dos aux lombaires
à force d’être alitée et au moins 4-5 kg de moins. Je n’ose
pas me peser mais me vois dans la glace de la chambre à la maison,
vide et décharnée, avec une ceinture abdominale et des bas de
contention.
Je
suis rentrée à la maison lundi dernier, 27 juillet, après dix
jours d’hôpital. L’intervention a duré sept heures, suivie de
deux jours en soins intensifs. »